Comment vous est venue l’idée de Pickme ?
Jessie Toulcanon : dans mon dernier poste, Directrice Marketing chez Kookai e-commerce, j’ai constaté que 70 % des tickets au service client étaient liés à une mauvaise livraison des colis. Pour les clients, cela crée une frustration énorme, qui a un impact sur les intentions de réutilisation. Et en fait, l’idée de Pickme m’est venue un week-end. On a voulu me livrer, mais j’étais à Berlin. Je me suis dit que ça n’était pas possible qu’avec tous les voisins autour de chez moi le colis doive retourner à l’entrepôt à l’autre bout de Paris. Pourquoi n’existe-t-il pas un « Blablacar » du colis, où je peux avoir accès à l’espace de stockage de mes voisins ? Donc j’ai testé l’idée dans des « Start-up Weekends », pour comprendre comment on pouvait s’intégrer dans le paysage de la livraison. Une fois que j’ai été convaincue, j’ai posé me démission et j’ai lancé Pickme en décembre 2019. Mes associés m’ont rejointe pendant le Covid-19.
Que fait Pickme ?
J. T. : nous avons créé un réseau de ce qu’on appelle des « micro-hubs de proximité ». Ce sont des particuliers qui ont un peu d’espace chez eux et qui souhaitent rendre service à leurs voisins et avoir un petit complément de revenus. La première motivation reste l’entraide parce que c’est peu d’argent. Aujourd’hui, nous avons 180 000 « Keepers » dans toute la France. Le réseau actif quotidiennement tourne autour de 9 000.
Ces particuliers, les destinataires finaux les choisissent dans la liste des points de retrait proposés lors de la commande. Nous avons aussi lancé ce qu’on appelle le CtoB, c’est-à-dire le dépôt et le retour de colis via les particuliers. Donc c’est un nouveau mode de livraison hors domicile, qui vient compléter les réseaux des bureaux de Poste, des lockers et des points commerçants. Le gros avantage, c’est l’amplitude horaire puisque les personnes vont généralement être disponibles le soir et le week-end. Nous avons un taux de sélection parmi les modes de livraison hors domicile entre 3 % et 7 %, ce qui est assez important et devient même plus élevé que les lockers. Et notre taux d’intention de réutilisation est de 92 %.
Comment vous êtes-vous fait connaître auprès des keepers ?
J. T. : nous avons testé plein de choses, forcément. Nous avons commencé par notre premier cercle. Nous avons démarré à Paris parce que c’est là qu’est concentré le plus gros volume e-commerce. Puis on s’est développé par le bouche-à-oreille. Nous avons aussi testé la publicité, mais ce n’est pas ce qui marche le mieux chez nous. Ce qui marche le mieux, c’est vraiment le parrainage. Ensuite, nous avons utilisé les réseaux sociaux. Nous avons aussi eu des reportages sur TF1, sur M6, etc. Ça a tout de suite boosté les inscriptions. Et les deux dernières années de forte inflation nous ont également aidés, car les gens cherchaient des compléments de revenus. Nous avons commencé dans les grandes villes et maintenant nous sommes à 50-50 entre les zones urbaines et les zones rurales. C’était une nécessité d’être présent partout ; c’est difficile de proposer une solution pour le e-commerce en n’étant présent que dans quelques villes.
Est-ce qu’il y a une sélection des keepers ?
J. T. : oui. Il y a déjà une partie administrative : nous leur demandons une pièce d’identité, un justificatif de domicile. Ils doivent être majeurs et doivent posséder un smartphone car tout se passe sur l’application : la tenue à jour des disponibilités, le scan des colis, la communication avec le destinataire, etc. Nous leur demandons aussi de respecter une « charte des keepers ». Nous sommes très exigeants sur la tenue à jour des agendas. Il faut qu’il y ait de la récurrence, par exemple tous les jours de 9h à 12h et de 18h à 23h. Il faut aussi qu’ils soient disponibles au moins 3 jours par semaine. Ces horaires-là sont ensuite visibles sur le site commerçant. Il y a des critères qui peuvent varier selon les transporteurs concernant les disponibilités. Mais nous restons très vigilants par rapport au cadre de la législation, nous plafonnons les colis et donc les revenus qui peuvent être générés.
Enfin, nous sommes stricts sur les process. Nous travaillons avec des entreprises comme DHL, Colissimo, etc. qui sont très exigeantes en matière de qualité de service, donc nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir un réseau qui n’est pas à la hauteur. Nous formons les keepers, car c’est un moment stressant pour le destinataire de récupérer un colis. Là, ça peut être un moment de rencontre et de partage.
En cas de problème, nous envoyons un premier avis d’avertissement. Nous refaisons éventuellement la formation si nécessaire. Et s’il y a un nouveau souci de conflit d’agenda, de non-récupération ou autre chose, nous sortons le keeper du réseau. L’avantage d’avoir maintenant un gros réseau, c’est que nous pouvons nous permettre de les sortir assez facilement.
Quels sont vos projets à court et moyen termes ?
J. T. : un peu de diversification : nous venons de lancer le swap, le fait que nos voisins-relais puissent faire la restitution de box internet (identification, ouverture...). Nous travaillons aussi beaucoup sur l’IA. Notre gros sujet, c’est bien sûr la géolocalisation des points relais et le matching d’agendas. Nous travaillons donc fort sur l’algorithme qui nous permet d’identifier le bon keeper au bon endroit, au bon moment. Et le dernier projet, c’est le développement européen. Nous sommes beaucoup sollicités dans des pays comme l’Allemagne ou l’Espagne. À plus court terme, nous sommes en train de généraliser le service avec Colissimo. De 1 million de colis cette année, nous devrions passer à 3 millions l’année prochaine.
Fiche d’identité Dénomination : Pickme
Activité : recrutement et animation d’un réseau de voisins-relais ou keepers
Siège social : Saint-Mandé (94)
Effectif : 14 salariés
Web : www.mypickme.com