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PORTRAIT : Soixante-dix associés pour un hectare de vignes en Champagne
« Combien de pieds de vigne sont à moi ? » Les nouveaux associés de Benjamin Rogge lui posent souvent la question. Le viticulteur de 40 ans est le co-gérant d’un groupement foncier viticole (GFV) constitué en 2021 avec 68 de ses clients. Avec son épouse, ils détiennent deux parts sur un total de 226.
En 2020, au début de la crise Covid, le couple a l’opportunité d’acheter un peu plus d’un hectare de vignes AOC Champagne pour développer la partie commerciale de l’entreprise. « Nous avions besoin d’approvisionnement, explique Benjamin. La banque était prête à suivre mais elle nous a mis en garde contre les conséquences économiques incertaines de la crise sanitaire. Je me suis renseigné et j’ai découvert que je pouvais créer un GFV." L’entrepreneur s’est rapproché du cabinet d’expertise comptable FCN (membre d’AGIRAGRI) pour monter son projet et le sécuriser juridiquement. "Nous avons fait en sorte que le gérant ait les mains libres et mis quelques garde-fous pour les associés, d’ordre patrimonial notamment. Par exemple, la SCEV ne peut résilier le bail à long terme en cours sans l’avis de l’assemblée générale, explique Ingrid Boadé, la consultante juridique et fiscale au bureau FCN d'Epernay qui a accompagné Benjamin. En cas de vente de parts sociales, un droit de préemption a aussi été prévu au profit du gérant, son épouse, sa société d’exploitation et ses enfants plus tard. En revanche, les transmissions de parts ont été laissées libres ".
Une part sociale à 5 000 €
Un GFV peut compter jusqu’à 150 associés, mais ils s’étaient fixés une limite à 50 pour que la société reste gérable. Après réflexion, ils ont arbitré la part sociale à 5 000 €.« Un montant trop faible risquait d’aboutir à un trop grand nombre d’associés. Et un montant trop élevé pouvait ne pas être attractif », relate la consultante FCN. Finalement, ils ont trouvé le juste équilibre. Benjamin a lancé un appel de fonds auprès de ses plus fidèles clients en décembre 2021. Soixante-huit ont répondu présents. « On a un peu dépassé la limite ! », sourit Benjamin. En quelques semaines, il a levé les 1 300 000 € nécessaires à l’opération. « J’ai été le premier surpris. Certains, je ne les avais même jamais rencontrés, car ils achetaient via une plateforme digitale de distribution de vins en circuit court ».
Ce sont des Allemands, des Portugais et des Français de toutes régions, âgés de 31 à 92 ans, aux portefeuilles très hétéroclites.
Certains ont pris une seule part, d’autres pour 10 000, 25 000 ou 35 000 €. Le plus gros investissement s’élève à 100 000 €. Ce qui les a attirés, c’est moins la rentabilité, connue pour être très faible en Champagne au regard du coût d’achat du foncier, que la fierté d’être propriétaire de vignes en Champagne. Mais le rêve a failli tourner court. « Le vendeur s’est désisté, explique Benjamin. Heureusement, la Safer s’est démenée pour trouver une autre parcelle de surface équivalente ». Le vigneron a aussi acquis 1 ha de son côté. Son domaine, dont le siège se situe à Passy-Grigny sur la rive droite de la vallée de la Marne, compte aujourd’hui 12,8 ha. Mais peut-être pas pour longtemps. Déjà de nouveaux investisseurs souhaitent entrer dans le dispositif. Pourquoi pas un nouveau GFV ?
Une nouvelle relation avec les clients-associés
Pour l’heure, le GFV des Petits Grès a à peine plus d’un an. « Il faut se laisser le temps de le faire vivre », reconnaît Benjamin. La première année lui a demandé pas mal d’investissement personnel. « Il faut être rigoureux, organisé. Mais FCN m’avait donné une liste claire des justificatifs à demander aux associés et ils se sont chargés de la rédaction des statuts », indique Benjamin. « Nous avons eu beaucoup d’échanges entre juin et novembre 2020 pour finaliser le dispositif et l’adapter sur-mesure au projet de Monsieur Rogge, confirme Ingrid Boadé. C’est de la dentelle ! » « J’ai eu un peu de stress au moment de la signature des statuts qui devait être concomitante avec la levée de fonds pour ne pas risquer d’avoir un associé qui n’aurait pas payé sa part, avoue Benjamin. Mais les clients aussi pouvaient craindre une défaillance de ma part. Finalement, c’est une question de confiance et tout s’est bien passé. Ils ont été très réactifs à chaque étape ».
Une nouvelle relation s’est installée avec ses clients-associés. « Ils ont pris des nouvelles tout au long de l’année, s’inquiètent des périodes de gel, posent plus de questions techniques… Nous les avions invités aux vendanges et à assister au pressurage. On apprend à se connaître, c’est beaucoup plus enrichissant », reconnaît Benjamin. La première assemblée générale s’est tenue le 1er avril 2022. Quinze associés étaient présents sur place et presque autant en visioconférence. Mais tous avaient pris la peine de signer une procuration. Ils ont posé beaucoup de questions sur la rentabilité de leur investissement. « Nous leur proposons chaque année une estimation de la valeur des parts. Celle-ci repose sur la valeur des vignes, aujourd’hui classée au patrimoine de l’Unesco."
Quatre bouteilles par an
Quatre fois par an, en décembre, mars, juin et septembre, la SCEV verse un fermage au GFV fixé à 2600 kg par hectare. Ce principe permet une déconnexion des aléas de récolte. De même en cas d’arrachage et replantation de la parcelle, le fermage est dû. Il est versé aux associés, une fois par an, en septembre. L’AOC Champagne ne permet pas de payer le loyer en bouteilles. Il aurait été possible de récupérer les raisins, mais le bailleur, ici les associés du GFV, aurait ensuite dû les champagniser. Cette option paraissait trop compliquée et n’a pas été retenue. Ainsi, le GFV récupère un loyer en argent puis s’en sert pour acheter des bouteilles.
Les dividendes peuvent être versés en monétaire ou en bouteilles. Cette année, chaque part a généré un bénéfice comptable de 40,58 €, ce qui correspond à quatre bouteilles. Les bouteilles étant payées au coût de revient, la conversion apporte un surcroît de performance, et surtout, permet de concilier investissement et plaisir ! Pour le GFV des Petits Grès, cela revient à une rentabilité de 0,81 % en monétaire et 1,24 % en bouteilles. Au-delà d’être propriétaire d’un coin de Champagne et de produire son vin effervescent, l’intérêt est fiscal. A noter enfin, qu’il n’y a pas de surcoût important d’imposition car le GFV est fiscalement transparent. Seuls les associés sont imposés sur les revenus encaissés par leur groupement (le fermage). La quote-part de fermage perçue par chaque associé est alors imposable dans la catégorie des revenus fonciers.
Propos recueillis par Arielle Delest du groupement AGIRAGRI
24/05/2022 - 17:45
En 2020, au début de la crise Covid, le couple a l’opportunité d’acheter un peu plus d’un hectare de vignes AOC Champagne pour développer la partie commerciale de l’entreprise. « Nous avions besoin d’approvisionnement, explique Benjamin. La banque était prête à suivre mais elle nous a mis en garde contre les conséquences économiques incertaines de la crise sanitaire. Je me suis renseigné et j’ai découvert que je pouvais créer un GFV." L’entrepreneur s’est rapproché du cabinet d’expertise comptable FCN (membre d’AGIRAGRI) pour monter son projet et le sécuriser juridiquement. "Nous avons fait en sorte que le gérant ait les mains libres et mis quelques garde-fous pour les associés, d’ordre patrimonial notamment. Par exemple, la SCEV ne peut résilier le bail à long terme en cours sans l’avis de l’assemblée générale, explique Ingrid Boadé, la consultante juridique et fiscale au bureau FCN d'Epernay qui a accompagné Benjamin. En cas de vente de parts sociales, un droit de préemption a aussi été prévu au profit du gérant, son épouse, sa société d’exploitation et ses enfants plus tard. En revanche, les transmissions de parts ont été laissées libres ".
Une part sociale à 5 000 €
Un GFV peut compter jusqu’à 150 associés, mais ils s’étaient fixés une limite à 50 pour que la société reste gérable. Après réflexion, ils ont arbitré la part sociale à 5 000 €.« Un montant trop faible risquait d’aboutir à un trop grand nombre d’associés. Et un montant trop élevé pouvait ne pas être attractif », relate la consultante FCN. Finalement, ils ont trouvé le juste équilibre. Benjamin a lancé un appel de fonds auprès de ses plus fidèles clients en décembre 2021. Soixante-huit ont répondu présents. « On a un peu dépassé la limite ! », sourit Benjamin. En quelques semaines, il a levé les 1 300 000 € nécessaires à l’opération. « J’ai été le premier surpris. Certains, je ne les avais même jamais rencontrés, car ils achetaient via une plateforme digitale de distribution de vins en circuit court ».
Ce sont des Allemands, des Portugais et des Français de toutes régions, âgés de 31 à 92 ans, aux portefeuilles très hétéroclites.
Certains ont pris une seule part, d’autres pour 10 000, 25 000 ou 35 000 €. Le plus gros investissement s’élève à 100 000 €. Ce qui les a attirés, c’est moins la rentabilité, connue pour être très faible en Champagne au regard du coût d’achat du foncier, que la fierté d’être propriétaire de vignes en Champagne. Mais le rêve a failli tourner court. « Le vendeur s’est désisté, explique Benjamin. Heureusement, la Safer s’est démenée pour trouver une autre parcelle de surface équivalente ». Le vigneron a aussi acquis 1 ha de son côté. Son domaine, dont le siège se situe à Passy-Grigny sur la rive droite de la vallée de la Marne, compte aujourd’hui 12,8 ha. Mais peut-être pas pour longtemps. Déjà de nouveaux investisseurs souhaitent entrer dans le dispositif. Pourquoi pas un nouveau GFV ?
Une nouvelle relation avec les clients-associés
Pour l’heure, le GFV des Petits Grès a à peine plus d’un an. « Il faut se laisser le temps de le faire vivre », reconnaît Benjamin. La première année lui a demandé pas mal d’investissement personnel. « Il faut être rigoureux, organisé. Mais FCN m’avait donné une liste claire des justificatifs à demander aux associés et ils se sont chargés de la rédaction des statuts », indique Benjamin. « Nous avons eu beaucoup d’échanges entre juin et novembre 2020 pour finaliser le dispositif et l’adapter sur-mesure au projet de Monsieur Rogge, confirme Ingrid Boadé. C’est de la dentelle ! » « J’ai eu un peu de stress au moment de la signature des statuts qui devait être concomitante avec la levée de fonds pour ne pas risquer d’avoir un associé qui n’aurait pas payé sa part, avoue Benjamin. Mais les clients aussi pouvaient craindre une défaillance de ma part. Finalement, c’est une question de confiance et tout s’est bien passé. Ils ont été très réactifs à chaque étape ».
Une nouvelle relation s’est installée avec ses clients-associés. « Ils ont pris des nouvelles tout au long de l’année, s’inquiètent des périodes de gel, posent plus de questions techniques… Nous les avions invités aux vendanges et à assister au pressurage. On apprend à se connaître, c’est beaucoup plus enrichissant », reconnaît Benjamin. La première assemblée générale s’est tenue le 1er avril 2022. Quinze associés étaient présents sur place et presque autant en visioconférence. Mais tous avaient pris la peine de signer une procuration. Ils ont posé beaucoup de questions sur la rentabilité de leur investissement. « Nous leur proposons chaque année une estimation de la valeur des parts. Celle-ci repose sur la valeur des vignes, aujourd’hui classée au patrimoine de l’Unesco."
Quatre bouteilles par an
Quatre fois par an, en décembre, mars, juin et septembre, la SCEV verse un fermage au GFV fixé à 2600 kg par hectare. Ce principe permet une déconnexion des aléas de récolte. De même en cas d’arrachage et replantation de la parcelle, le fermage est dû. Il est versé aux associés, une fois par an, en septembre. L’AOC Champagne ne permet pas de payer le loyer en bouteilles. Il aurait été possible de récupérer les raisins, mais le bailleur, ici les associés du GFV, aurait ensuite dû les champagniser. Cette option paraissait trop compliquée et n’a pas été retenue. Ainsi, le GFV récupère un loyer en argent puis s’en sert pour acheter des bouteilles.
Les dividendes peuvent être versés en monétaire ou en bouteilles. Cette année, chaque part a généré un bénéfice comptable de 40,58 €, ce qui correspond à quatre bouteilles. Les bouteilles étant payées au coût de revient, la conversion apporte un surcroît de performance, et surtout, permet de concilier investissement et plaisir ! Pour le GFV des Petits Grès, cela revient à une rentabilité de 0,81 % en monétaire et 1,24 % en bouteilles. Au-delà d’être propriétaire d’un coin de Champagne et de produire son vin effervescent, l’intérêt est fiscal. A noter enfin, qu’il n’y a pas de surcoût important d’imposition car le GFV est fiscalement transparent. Seuls les associés sont imposés sur les revenus encaissés par leur groupement (le fermage). La quote-part de fermage perçue par chaque associé est alors imposable dans la catégorie des revenus fonciers.
Propos recueillis par Arielle Delest du groupement AGIRAGRI
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